L'école numéro 9 :
Sur les murs du hall d’entrée, 59 étoiles dorées avec, au centre de chacune, la photo des 59 meilleurs élèves de l’année précédente. Le mur porte bien son nom : « La sphère des étoiles ». Le ton est donné. Des vitrines exposent les trophées remportés lors de compétitions sportives, en face des écolières qui chantent, chaque matin, « Les filles de Russie », hymne de l’école composé par la directrice. Victoria Trofimovna Silenskaïa est à la tête de cette école depuis sa création en 2004 : « Cet internat a pour unique objectif la défense sociale des enfants. Nous n’accueillons que des filles de Moscou : filles d’officiers morts ou actuellement en exercice dans des « zones à risque », orphelines ou filles de familles nombreuses disposant de trop peu de moyens pour s’occuper de leur éducation. » L’école dépend du Ministère de l’Education qui verse tous les ans, pour chacune des jeunes filles, 140 000 roubles par an. 300 filles de 10 à 17 ans sont ainsi prises en charge et instruites dans ce cadre militaire. « L’atmosphère de la société actuelle exige que les enfants sachent aider les autres, veiller à leur sécurité et réagir aux situations extrêmes. C’est ce qui est enseigné chez nous. Il ne s’agit pas d’une préparation au service militaire puisque les cadettes, après l’école, choisissent leur voie : entrer dans l’armée ou poursuivre leurs études dans l’enseignement supérieur », explique la directrice. Le professeur de musique ajoute qu’une de « leurs » filles entamera l’année prochaine une formation de pianiste professionnelle.
Une sonnerie (étonnamment, il s’agit de Yesterday des Beatles) marque la fin du cours. La rencontre avec les jeunes filles commence dans les couloirs. Pas de brouhaha ni de cavalcade dans les escaliers, mais des jeunes filles calmes, allant d’un cours à l’autre sans se presser, deux par deux, bavardant et souriant avec l’assurance de celles qui ont appris la discipline. Toutes ont les cheveux tressés et attachés avec un gros noeud blanc en forme de pompon qui tombe sur leur uniforme bleu marine. Elles longent les murs, sans un oeil pour les photographies qui y sont accrochées, agrandies en format poster où elles posent en tenue de gala, diadèmes et cheveux pailletés, contrastant avec l’uniforme qu’elles portent au quotidien. Les photos suggèrent une école de Miss ou de mannequins, plutôt qu’une académie militaire. Le lieu surprend. Sur trois étages, des portes s’ouvrent successivement sur des classes de langue étrangère, d’informatique, de coiffure. Les élèves se lèvent à chaque fois d’un coup d’un seul, amusées par la présence d’une étrangère, distraites et chuchotant derrière leurs pompons. La visite continue vers les classes d’arts martiaux, de danse, de cuisine, de tir.
« Ishio raz ! » répète inlassablement l’entraîneur à l’adresse de trois adolescentes en train de cribler de balles des cibles sur un écran vidéo. Après l’exercice, l’une d’entre elles, âgée de 12 ans, récupère le pistolet pour le démonter et le ranger. Elle aurait pu le faire les yeux fermés. Il est temps de passer au cours suivant, qui traite de la meilleure façon de dresser une jolie table. La diversité des enseignements constitue, pour Victoria Trofimovna, l’atout majeur de la formation des cadettes « Les jeunes filles russes doivent développer toutes les qualités des femmes : savoir cuisiner, danser, chanter. Elles doivent être des intellectuelles, de parfaites mères de famille et de bonnes épouses, mais également des femmes modernes insérées dans la vie professionnelle et des citoyennes capables de servir la Patrie en sauvant les autres. Les disciplines enseignées ici leur permettront de devenir ces femmes complètes, utiles à la société et à leurs familles. » Et, pour souligner le rôle éminent des femmes dans la société russe, l’école dédie son musée aux « héroïnes de Russie », depuis l’impératrice Catherine II jusqu’aux femmes cosmonautes. De quoi inspirer des jeunes filles au comportement si conforme aux valeurs de l’école. S’maginer trouver un peu de leur personnalité dans les dortoirs, au milieu de leurs effets personnels, c’était oublier la discipline militaire : les chambres sont petites et vides, les lits faits à l’identique. Rien ne traîne : ni photos, ni livres, ni vêtements sur le dos d’une chaise. Seul, parfois, un ourson en peluche près d’un oreiller rappelle que ce sont des enfants qui vivent là.
Natacha ne veut ni devenir tankiste ni éplucher des pommes de terre : elle veut être avocate. Comme toutes les écolières de Russie et en plus de son programme militaire, elle suit toutes les matières "normales" d’une écolière de son âge. Les cours de Natacha se terminent à 16 h. Elle retourne dans sa chambre retrouver son ours et appeler son père – un colonel de l’Etat major de l’armée russe.
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